Dans le sillage de ce nouveau confinement, le silence pourra t’il de nouveau, pour certains, se frayer un chemin et permettre ainsi à leur monde intérieur de regagner en consistance ?

Quelques réflexions d’intellectuels sur …le silence : cet « unique phénomène sans utilité » dans notre vie moderne (autour de l’oeuvre d’un penseur précurseur aujourd’hui disparu: le philosophe suisse Max Picard).

Le silence « une structure fondamentale de l’homme »!

(Max PICARD, philosophe et poète suisse – 1888/1965)

Max Picard

Pour Max Picard, le silence est une « structure fondamentale de l’homme » d’où seul peut naître la parole. C’est « l’unique phénomène sans utilité » et « la trace du divin« .
Sans le silence, le monde perd sa cohérence, la parole se brouille en rumeur.
« L’homme qui a perdu le silence n’a pas perdu un attribut seulement, il en a été modifié dans toute sa structure« .

Picard juge la société moderne malade : la technique y dispense de la réflexion, l’intériorité s’est perdue, l’instantanéité et l’éparpillement sont la norme. Comble de malédiction, la parole y est remplacée par la rumeur, « fantômes de parole« , « vide sonore qui recouvre le vide insonore« .

Pour Picard, le silence indique le chemin du fondamental. Le salut vient par un chemin qui vise à creuser un peu plus profond à l’intérieur de nous-mêmes. Le silence n’est pas juste l’absence de bruits.

Médecin de formation ayant abandonné la médecine, Max Picard fut dans les années d’après-guerre une figure intellectuelle et spirituelle de premier plan. A l’écart des modes et des écoles, il vivait seul dans les montagnes du Tessin avant de tomber dans l’oubli après sa mort. 

Le silence, « le résultat d’une concentration dans le durable »  …

(Carlo OSSOLA, philosophe, historien et critique littéraire contemporain, lauréat du prix Pisa)

Carlo Ossola

Le silence n’est pas une soustraction. Il ne se fait pas en enlevant les bruits -ce qui est malgré tout utile et parfois nécessaire- mais en se concentrant sur l’essentiel. Le silence n’est pas une ablation mais le résultat d’une concentration dans le durable.

Le silence a plusieurs dimensions …

Le silence a plusieurs dimensions :

  • Il est d’abord « un moment d’arrêt, où le devenir cède la place à l’être »
  • Il est ensuite « un moment de cohésion formelle, d’intégrité » où chaque élément du monde peut trouver sa place.
  • Il est aussi, « un moment de verticalité » qui met en rapport avec le fond des choses et ouvre à la transcendance.
  • Il est enfin « un moment d’excédence, de surcroît ». C’est sa dimension d' »inutilité » et même d' »inutilité sacrée ». Il apparaît alors comme le don de Dieu fait à l’homme et le lieu de leur possible rencontre. »

(Jean-Luc Egger, chargé d’enseignement à l’Université de Genève.)

Toutes ces dimensions révèlent le caractère vital du silence pour l’homme et le remède qu’il constitue pour contrer tout ce qui tire vers l’inessentiel et l’insignifiance.

Le silence est une réponse …

(Julien Gabet, philosophe et éditeur de l’oeuvre de Picard)

« On est plutôt du côté d’un remède, d’une thérapeutique. Le rejet d’une forme de modernisme conduit Picard à explorer d’autres terrains d’existence, parce qu’il faut bien exister quelque part. »

« Pour Picard, le silence est une invitation à la contemplation. C’est une réponse à un monde largement gangrené par le rendement, l’exploitation, l’instrumentalisation de l’existence et de la vie elle-même. »

Dans le malheur de la vie, le silence reste à portée de la main et, chez Picard, le salut n’est jamais aussi éloigné qu’on le pense. Il en détaille les traces dans la nature, le monde animal, les monuments; dans la parole vraie et le visage humain; dans l’amour et la prière.

Julien Gabet

… aux symptômes du malade

Avec l’agitation néolibérale, le développement des techniques, Internet et les réseaux sociaux, la « rumeur » s’est faite plus bruyante. « Sa construction s’est perfectionnée, elle est devenue aujourd’hui plus irrésistible. Il est encore plus difficile de penser « un ailleurs » en raison de l’homogénéisation des façons de vivre, des langues »

Picard nous lègue en héritage gratuit une leçon de liberté qui passe par … le silence.

PS – Extraits de l’article d’Elodie Maurot dans le journal « La Croix » du 7 août 2020.

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